Cycles Khelys : l’interview.

Passer pro. Et s’échapper du peloton.

Quelles ont été tes expériences professionnelles dans le vélo ?

J’ai commencé dans l’une des plus vieilles usines de vélo en France : Peugeot Cycles ! J’y occupais le poste de Chef de Projet en Recherche et Développement. Mon métier consistait donc à développer des cadres et des projets de vélos qui sortaient un peu de l’ordinaire. J’étais un jeune ingénieur motivé, hy-per content d’enfin bosser dans le vélo ! Et en fait, je ne pensais pas que je mettrais rapidement le doigt dans tout un tas de problèmes liés à la mondialisation…

Je suis arrivé dans une ville avec presque plus d’habitants, malgré de grosses industries présentes (Peugeot, Le Coq Sportif…). L’usine Peugeot Cycles à une époque embauchait plus de 1000 personnes, parce qu’on y soudait les cadres, on fabriquait les fourches, les roues, on assemblait les vélos, etc. Alors que moi, quand j’y étais, il n’y restait qu’à peine 200 personnes. Il n’y avait plus que de l’assemblage. J’y ai rencontré des gens avec un vrai savoir-faire, qui soudaient des vélos avant. Des gens qui adoraient leurs métiers ! Mais qui maintenant ne faisaient plus que visser des vis sur des lignes d’assemblage cadencées.

Et j’ai fini par réaliser qu’en fait je participais à tout ce système : je dessinais des vélos, qui étaient maintenant fabriqués en Asie. J’étais par conséquent souvent amené à prendre l’avion pour aller là-bas et vérifier la fabrication des cadres. Et quand je revenais de mon voyage, je devais serrer la main à tous les gars en France qui avaient perdu leur boulot et leur savoir-faire, au détriment d’asiatiques qui ont un niveau de vie nettement inférieur au notre.

Et là je me dis qu’il y a vraiment un problème. Ça ne va pas.

Après avoir travaillé dans d’autres boites à Paris et chez Moustache pendant deux ans, j’ai vraiment ressenti l’envie, voire même le besoin, de sortir du schéma industriel. 

Comment a alors germé l’idée de devenir artisan-cadreur ?

L’idée est vraiment venue rapidement après avoir commencé à travailler dans le vélo à plein temps. Quand on voit le vélo de l’extérieur, puis quand on le voit de l’intérieur, on voit quelque chose de complètement différent. Au bout d’un moment, je ne trouvais plus ce que j’étais venu chercher. Le milieu du vélo est un secteur ultra-concurrentiel. Tout est marketing. Tout est gammes à renouveler. Tout est obsolescence.  Donc quand on est ingénieur, on se retrouve en amont de cette chaîne. On doit anticiper les besoins des gens, et anticiper les façons de renouveler ces besoins.

Et l’autre chose très curieuse que j’ai ressenti, est de croiser des gens sur des vélos que j’ai conçus, mais sans connaître ces personnes. Et finalement, pour plein de raisons, ça m’a donné envie de revenir à une échelle beaucoup plus locale. J’avais envie de connaître leurs vrais besoins, et pas de leur dire ce dont ils ont besoin. Je ne voulais plus faire des milliers de vélos dont la gamme allait être renouvelée l’année suivante. Je ne voulais plus prendre l’avion pour aller en Asie. Je voulais faire revivre le savoir-faire Français qu’on a beaucoup externalisé.

L’artisanat est donc pour moi le moyen de reconnecter mes mains, mon cerveau, ma créativité, mon ingénierie, mes valeurs. Et tout ça fait beaucoup plus sens pour moi aujourd’hui. Je ne prétends pas apporter de grandes innovations dans le vélo. Je veux simplement faire des vélos qui durent et qui répondent aux besoins des gens.

Je ne prétends pas apporter de grandes innovations dans le vélo. Je veux simplement faire des vélos qui durent, et qui répondent aux besoins des gens.

Très concrètement, pour quelqu’un qui ignore tout du métier d’artisan-cadreur, en quoi consiste ton boulot ?

Tout commence par une discussion avec mes clients : comprendre leurs besoins, leurs envies, leurs ambitions. Et j’ai la chance de presque toujours échanger avec des gens qui sont dans le même état d’esprit que moi, il y a donc beaucoup de partage. C’est une vraie relation que je crée avec le client. Il y a une véritable proximité. Certains viennent parce qu’ils ne trouvent tout simplement pas ce qu’ils cherchent dans le commerce. Mais la plupart du temps il s’agit de gens qui sont curieux de l’artisanat. Des gens qui veulent savoir comment un vélo est fabriqué. Donc je veille à vraiment partager le processus de fabrication, à envoyer des photos, l’avancée, etc.

Après cette discussion, je rentre dans les détails, et je fais une proposition que j’estime cohérente avec leur demande. Si le client est d’accord avec mes propositions, je rentre dans le vif du sujet en commençant les plans des vélos sur-mesure selon les mensurations du client. Une fois qu’on est d’accord sur tous les détails (taille, composants, accessoires, demandes particulières – par exemple, un décapsuleur sur les pattes arrières pour Les Rookies !), je passe commande chez les partenaires les plus locaux possibles.

Une fois les commandes reçues, on passe au boulot !
Je travaille donc uniquement de l’acier : le cadre et la fourche (et parfois des porte-bagages). Je découpe les tubes, je fais la brasure (ce qui n’est pas tout à fait pareil que de la soudure : en soudure on vient fusionner les métaux, alors que la brasure s’apparente plutôt à une sorte de collage). Puis peinture chez un partenaire local. Et enfin, l’assemblage : c’est-à-dire ajouter tous les composants (roues, pédalier, guidon, transmission, etc) sur le cadre que j’ai fabriqué.

Et voilà ! Reste plus qu’à croiser les doigts pour que le client soit content !
Mais jusqu’ici, je n’ai pas reçu de plaintes ! (rires)

Du bmx au fixie, en passant par le vélo de route, le velotaff et bien sûr le gravel et le bikepacking, une seule chose m'anime : photographier et partager mes aventures.

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