Girls on Fire : Du gras et des pavés.

Le 24 octobre, c’était censé être la première édition du Paris-Roubaix féminin. Un symbole fort dans un cyclisme (un poil) macho, avec enfin un accès des femmes à cette course mythique, et une médiatisation. Avec les copines on se réjouissait de voir enfin des filles sur des pavés à la télé, et quand le Covid a tout bousculé, on a gardé le week-end et on a changé l’idée. « Allez on le raconte et on appellera ça les Girls on fire ! ». Bon. Ça partait d’un truc à la légère, et puis c’est resté léger tout le long.

Première chose à faire avant de partir (et aussi pendant, et après) sur 2 jours de bikepacking ? Casser une boulangerie. Et quand tu mêles une anglaise, une picarde, une nordiste et deux parisiennes, tu commences de fait par le débat du « petit pain » vs « pain au chocolat » vs « chocolatine ». On n’a pas la réponse, mais on a bien mangé.

Quand on sort alourdies de la ville sous la bruine du Nord, le jour n’est pas encore levé et on sent déjà que le week-end sera gras, et humide. On traverse les premiers champs de patates par des chemins boueux, on glisse, on se marre. Notre petite troupe est toute bariolée, du cuissard au legging coloré, du gravel titane au vélo de touring en acier, des longs cheveux roux aux cheveux courts et frisés. Très vite, on trouve notre rythme, l’une papote avec l’autre, de vélo, de musique, de voyages. On manque un chemin, on fait un demi-tour, un deuxième, et on finit par traverser un champ de betteraves en poussant les vélos.

Le parcours qui nous attend est assez ambitieux. 250 km de chemins, graviers, terrils, terrils et encore terrils, des pavés, et des pavés. À l’automne, c’est un beau challenge. On progresse lentement, et on repère un village pour prendre un café. Un panneau « la frite c’est la fête » nous invite à changer nos plans. Ce sera frites et bicky burger pour tout le monde. « Vos frites sont françaises ou belges ? » Je me méfie. « On est en France, mais la patronne vient de l’autre côté de la frontière ». Ok, alors ce sera une seule frite. Pour 5 filles affamées. On n’en viendra pas à bout. On pioche avec nos mains sales dans cet énorme paquet de frites. Girls just wanna have fun (too).

Pour la suite de la journée, ce sera boueux (encore), du pavé gras, et du terril ! Le terril, quand on ne le connaît pas, ça peut surprendre. Un énorme tas de résidus miniers tout noir, super raide, avec plein de singletracks hyper joueurs, et une végétation complètement dingue qui offre à cette période de l’année des couleurs incroyables. Quand en tant que Rookie, tu en grimpes 15 en 2 jours, tu peux baisser les bras. Tu peux te dire mmh… finalement, je reste en bas. Pas ces nanas-là. On les aura montés à pieds avec le vélo ou sans le vélo, sur le vélo (surtout Jeanne), ou même le vélo sur le dos (et pourquoi pas ?). Et quand on arrive à la bascule, par surprise, juste devant cette descente super raide, on hésite un instant et puis « bon bah… » on dévale la pente à toute vitesse, rassurées de voir une grande flaque de boue pour amortir la chute.

Chaque terril est différent. Raide, petit, plat, long. Noir, ou recouvert d’un velours orange. Parsemé de grands bouleaux blancs, ou de champignons rouges. Sur le terril de Raismes, la faune locale est des plus surprenantes. Un quad et 2 motocross foncent sur un talus à la pente abrupte. Dans le bas, une carcasse de Berlingo repeinte en rose et bleue met de la couleur dans le paysage sombre. Tractées par leurs jambes à défaut de gros moteurs, Jeanne et Sophie se lancent dans cette montée. Et l’on voit Sophie redescendre tout droit (en manquant le virage, donc) et s’écriant « noooooon pas jusqu’en bas… ! » Fou rire général. C’est bon d’être des rookies.

 Le charme ou la pitié ?

Alors qu’on dévalise une autre boulangerie pour le goûter, Sophie ressort la dernière, le sourire aux lèvres : « il nous offre des viennoiseries ! ». Petits-pains et croissants pour le petit-déjeuner du lendemain ! Incroyable. On fait de grands signes à travers la vitrine pour remercier le boulanger, qui rit en nous voyant nous dandiner boueuses sur le trottoir.

On repart à l’attaque du parcours, à travers une Citadelle, des petits singles, et une forêt. La fatigue et les endorphines commencent à faire leur effet, et les discussions n’ont plus aucun sens. On improvise un karaoké mobile jusqu’à la nuit tombée.

Quelques bières, une plâtrée de pâtes, et on va se coucher. J’ai les jambes un peu raides, alors on se lance dans une séance de stretching sur les murs de briques rouges de la chambre de Sophie et Adrienne. « J’ai mal partout, je sais pas si je pourrai repartir demain ! » me souffle Sophie. Elle repartira évidemment le lendemain, en chantonnant dans son casque violet à éléphants oranges.

Au matin, Adrienne me met au défi de rester propre. J’évite une flaque, deux flaques, trois flaques. Et environ 10 minutes plus tard, j’abandonne en fonçant à toute berzingue dans une belle mare de boue. A quoi bon mettre un short si on ne peut pas le salir ?

Cache-cache avec les chasseurs

On est très vite bercées par les coups de fusil des chasseurs. Pas ultra-rassurant quand on passe son dimanche entre forêts, terrils et sentiers. Mais on ne se laisse pas aller, et on déploie une parade infaillible : chanter faux. Mais alors vraiment très faux. Michel Delpech, Lady Gaga, Jean-Jacques Goldman. À fond, sans rythme et en canon. Croyez-le ou pas, on n’aura pas été embêtées.

Au-delà de la puissance vocale et du plaisir de chanter en chœur, l’autre avantage de rouler entre filles, c’est la décomplexion totale face aux « pauses techniques », plus communément appelées « pauses-pipis ».  « Je dois faire pipi ! » et simultanément, 5 vélos sont jetés (hmm, délicatement posés) par terre, et 5 nanas se dispersent en étoile pour trouver chacune un buisson à bonne distanciation physique. En continuant leur discussion.

Après une bonne cinquantaine de kilomètres en évitant la pluie – mais pas le vent froid – on sort de la trace à Dourges pour aller se faire une troisième boulangerie. Sandwichs, brownies, feuilletés au chèvre, on prend à peu près tout ce qu’il reste. Et alors que Sophie sort la dernière… elle arrive vers moi en tendant un énorme sachet en papier : « ils nous ont offert des cookiiiiies ! ». Encore une fois, on fait de grands signes à la boulangère à travers la vitrine. Les gens du Nord sont merveilleux. On dévore notre butin sur le parvis d’une église, en observant la façade de la boulangerie. « Passion subtile », c’est audacieux comme nom.

Après le repas, on lâche les chevaux. On a froid, et pour se réchauffer, Sophie imite un cavalier qui chevaucherait un cheval au galop. On fait de petits sauts, on se lève et on s’assoit sur notre selle de cuir. Cet après-midi n’a plus aucun sens. Arrivées en bas d’un terril sans pistes, on est attirées par le haut du « Col ». Je me lance en traileuse que je ne suis pas sur l’ascension du charbon, et alors que je m’arrête à mi-chemin, je vois Sophie passer « Tu viens pas Loulou ? ». Bon. On monte en courant avec nos cales automatiques. Là-haut, un puis central tente de donner des airs de volcans à cette montagne noire. Un single ou deux plus tard, on se retrouve encerclées de grillages. On discute pour trouver une solution, quand on entend Sophie « Je suis pas sûre que ça passe ! ». Elle est à plat ventre dans la boue, et tente de se faufiler sous le grillage. Je crois qu’elle est coincée. Fou rire again. Les 4 autres filles prennent l’option « au-dessus » du grillage, sous le regard médusé des promeneurs du dimanche.

« Allez les filles, c’est la dernière difficulté ! » Je fonce sur la belle piste de gravier qui monte jusque Mons-en-Pévèle. Youpi c’est…et merde. Devant nous, c’est le secteur pavé de Mons-en-Pévèle. 3000 mètres de pavés en faux plat montant. Il est classé 5 étoiles sur le Paris-Roubaix, et on ne parle pas en termes de confort… On serre les dents et on appuie ! Pour des rookies, 3000 mètres, alias 3 kms, c’est long. Très long. Surtout avec le vent de face. Je pense que les filles me détestent. « la dernière difficulté, tu disais ? ». 

On déroule sur une piste cyclable, en dévorant des barres de céréales pour parvenir à ingurgiter les 30 derniers kms avant la nuit. On se retourne et… Sophie ? Sophie ! C’est évidemment le meilleur moment pour une crevaison. Alors qu’elle répare courageusement sa chambre à air, on check komoot pour envisager les options. On décide de couper par la route pour rentrer en moins d’une heure et avoir le temps de boire une bière avant le couvre-feu. Une bière, qui en deviendront 3.

Décidément, those girls are on fire.


Bravo à Louise Roussel, Sophie Gateau, Jeanne Lepoix, Sophie Boyle et Adrienne Estrada.

📷 by @JeanneLepoix

Accro au grand air et aux gens, rédactrice et "storyteller", je remplis mon temps libre d'aventures à vélo. Pour les partager, faire des ponts et mettre toujours plus de femmes (et d'hommes) au vélo.

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