🚴🏻‍♀️ Paris-Brest-Paris-Sybille

S’il y a bien un exercice compliquĂ©, c’est celui de vous prĂ©senter Sybille sans rien oublier… La solution pourrait ĂŞtre de simplement vous inviter Ă  aller rouler sur Paris et vous aurez 90% de chance de tomber sur elle. PerchĂ©e sur son Cyfac tricolore, le sourire qui dĂ©marre d’une oreille pour relier la seconde et une Ă©nergie Ă©quivalente Ă  deux semi-remorques de RedBull. Il y a peu, Sybille s’est lancĂ© un dĂ©fi un peu fou, participer Ă  la classique Paris-Brest-Paris. Voici son rĂ©cit, en exclusivitĂ© mondiale sur Les Rookies. Juste pour vous. NoĂ«l après NoĂ«l…


La Paris-Brest-Paris est une “randonnĂ©e”. Mais ce terme, associĂ© au mot “vĂ©lo”, peut te sembler Ă©trange. Il l’était en tout cas pour moi l’an dernier quand je me suis inscrite Ă  mon premier Brevet de Randonneur Mondiaux (aka un “BRM”). 

Ces randonnĂ©es sont des Ă©vĂ©nements de vĂ©los qui ne sont pas des courses, mais oĂą il faut «valider» une distance, avec une barrière horaire. Ce n’est pas la course, mais ça laisse pas non plus trop le temps de compter les points des coccinelles sur la route. 

Ces BRM permettent, entre autres, de s’inscrire Ă  des Ă©vĂ©nements comme la mythique “Paris-Brest-Paris” : probablement la randonnĂ©e la plus connue au monde, et certainement l’une des plus anciennes avec un aussi grand succès. Elle a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e en 1891, et il y avait plus de 6800 inscrits pour cette Ă©dition 2023. Comme d’autres grands Ă©vĂ©nements sportifs cela a lieu seulement une fois tous les 4 ans. 

L’idĂ©e de dĂ©part Ă©tait de relier Paris Ă  Brest et de revenir. Le dĂ©part se fait dĂ©sormais Ă  Rambouillet, mais le programme ne change pas : 1220 kilomètres et un peu plus de 10 000 mètres de dĂ©nivelĂ© positif. Avec le choix parmi trois barrières horaires : 80, 84 ou 90 heures. 

Yann Moz’ m’a accompagnĂ©, le samedi 19 aoĂ»t, la veille du dĂ©part, chercher mon attirail. Comprendre ici : un carnet de bord Ă  tamponner aux checkpoints “à l’ancienne”, mais aussi une “plaque” avec une puce Ă©lectronique pour vĂ©rifier plus simplement les passages et heures, ainsi qu’un fameux gilet fluo, qu’il est obligatoire de porter la nuit.

C’était aussi l’occasion de profiter du Concours des Machines, l’exposition de vĂ©los de fabrication artisanale, tous plus beaux les uns que les autres qui s’étaient joint Ă  la fĂŞte. 

Les premières 24h

Mon dĂ©part est le dimanche soir Ă  20h45, dans un des derniers sas de dĂ©part pour ma barrière horaire de 90h maximum. Pour le dĂ©part, ce sont 6 800 randonneurs prĂŞts Ă  relever ce dĂ©fi d’endurance et de persĂ©vĂ©rance. Ils viennent des quatre coins du monde, formant un mĂ©lange hĂ©tĂ©roclite oĂą l’âge moyen est Ă©levĂ©, dominĂ© majoritairement par les hommes. Bref, tout l’opposĂ© de moi. 

Je me sens comme une intruse, un point de contraste vif dans cette mosaïque humaine. L’énergie déborde, je suis impatiente. Le grand sourire aux lèvres et l’envie de danser quand toutes les personnes autour de moi ternes et sont en train de se concentrer. Devant la ligne de départ, je ne me prive pas et rejoins le maître de cérémonie pour “mettre l’ambiance” dans mon sas.

Avant cette poussée d’adrénaline, j’avais ce que je qualifierais de “giga-turbo-flemme”. Mais je savais qu’une fois sur le vélo, je serais « dedans ». Cela n’a pas manqué, les premiers kilomètres sont galvanisant, avec l’énergie du groupe, la fraîcheur de fin de journée et un beau coucher de soleil dès les premiers coups de pédales.

Le premier checkpoint arrive vite. Après une centaine de kilomètres. C’est une vraie fourmilière. Je cherche oĂą faire tamponner mon carnet sans succès : ce n’est qu’une halte, il ne faudra tamponner ici qu’au retour. Je perds un peu de temps puis reprends la route. Ă€ noter d’ailleurs que la majoritĂ© du parcours est le mĂŞme entre l’aller et le retour. J’apprĂ©hendais cela, mais comme on n’y passe finalement pas aux mĂŞmes pĂ©riodes de la journĂ©e, ce n’est pas particulièrement gĂŞnant.

Sur la route après ces quelques heures, c’est le champ de bataille qui commence. Plus l’on avance plus c’est l’hĂ©catombe. Des centaines de cadavres : les cyclistes, très souvent Ă©trangers, allongĂ©s sur le sol sans once de confort, tel des corps inanimĂ©s. Un peu glauque au dĂ©but puis on s’y habitue très vite. Ils seront près de 2000 Ă  ne pas finir le Paris-Brest-Paris cette annĂ©e, la majoritĂ© ne passant pas ces premières 24h, fatidiques.  

De mon cĂ´tĂ©, au contraire, la première nuit passe très vite, je fais les 220 premiers kilomètres Ă  un rythme qui ne me ressemble pas, j’ai mĂŞme eu peur de me “cramer”, mais je jubile. Parlant avec Ă©normĂ©ment de monde sur la route. En anglais, principalement, c’est une des richesses du Paris Brest Paris : il y a des dizaines de nationalitĂ©s reprĂ©sentĂ©es. 

En arrivant au deuxième checkpoint (Villaines-La-Juhel) je me force Ă  aller me coucher, car il est dĂ©jĂ  4h du matin et que je me connais : je dois dormir, mĂŞme juste un petit peu, sinon je divague et ça devient dangereux. Mais il y a beaucoup de bruit et mon corps en a aussi dĂ©cidĂ© un peu autrement, trop excitĂ© de continuer Ă  rouler. Je ne dors qu’une heure et je repars. 

S’ensuit une très longue et belle journĂ©e. Elle commence par un “braquage” de boulangerie, puis d’un magnifique lever de soleil et la malbouffe d’une chaĂ®ne amĂ©ricaine dès 10h30. Je rencontre ensuite un adorable Slovaque, crĂ©ateur de l’association locale de randonneurs de son pays, avec qui je passe le reste de la journĂ©e, qui passe ainsi beaucoup plus vite. Nous admirons un beau coucher de soleil pendant lequel j’observe mon record de nombre de kilomètres parcourus en 24h, avec 485 km au compteur. Mazette, je ne suis pas peu fière.

Puis le crĂ©puscule. Rouler la nuit a un goĂ»t particulier. L’air frais, caresse les visages, il porte ces parfums secrets de l’étĂ© et tout cela m’invite dans une danse silencieuse avec l’obscuritĂ©. Je suis bien. PrĂŞte pour cette deuxième nuit. 

Mon objectif est de faire encore environ 200 km pour me reposer avant Brest. Je suis dans les temps. Même avec un aller compté plus court que le retour, je suis large. Pour les 90 h, nous avons 40h pour faire l’aller et 50h pour le retour. On notera que j’ai appris ça sur le départ… N’ayant pas vraiment pris le temps de lire toutes les infos (quelle Rookie, oups).

Je m’arrĂŞte Ă  chaque checkpoint pour tamponner mon carnet et me ravitailler. 

Checkpoints et ambiance 

Chaque pause dans les espaces prĂ©vus pour est l’occasion de se ressourcer, avec des bĂ©nĂ©voles zĂ©lĂ©s, aux petits oignons avec nous sur tout au long du parcours. 

Le menu y est toujours garni et salvateur, parfois avec des saintes galettes-saucisses. Bien que je mange très peu de viande, j’avoue avoir fait quelques entorses. Partout, sur la route, il y a de nombreux stands confectionnĂ©s par les habitants du coin. Parfois Ă©veillĂ©s toute la nuit devant chez eux, qui distribuent toujours de l’eau et souvent quelques produits fait maison ou des rĂ©coltes de leur potager.

Arriver à Brest 

La nuit est magique et avant d’arriver Ă  Brest, je dors 5 ou 6 “vraies” heures de sommeil, ce qui me requinque pour plus de 24h suivantes. 

J’arrive donc dans la matinĂ©e Ă  Brest. Ce checkpoint est bien trop bondĂ©. La foule me met mal Ă  l’aise. Je voulais m’y requinquer et faire une pause technique. Je panique et j’abandonne, je ne veux pas faire la queue. J’espère trouver mieux plus loin. En repartant, je croise le duo de Graines de tandem qui y ont passĂ© un bout de la nuit. 

Après Brest, nous voyons la mer traversant le Pont Albert Louppe. Vue sur la mer Ă  droite et le Pont de l’Irois Ă  gauche, un style façon pont de Millau, avec de belles arches. La lumière du lever de soleil est douce. Le temps s’arrĂŞte quelques instants. J’emmagasine ça pour la suite : c’est le dĂ©but de l’étape la plus longue et difficile du trajet. La majoritĂ© du dĂ©nivelĂ© est dans cette partie vallonnĂ©e du parcours. Mais je suis en pleine forme, Ă  mon rythme et avec des viennoiseries dans le ventre. 

Je suis dans un Ă©tat mĂ©ditatif de nombreuses heures puis je rencontre un AmĂ©ricain d’origine indienne. Nous parlons plusieurs heures avec grande joie, j’adore ce moment. Mais est aussi plus bavard que moi et moins efficace dans ses pauses… Je lui montre comment optimiser son temps, il veut apprendre et que l’on continue Ă  rouler ensemble. C’est très touchant, mais comme il n’a Ă©galement pas prĂ©vu de faire autant de kilomètres que moi dans la journĂ©e, je suis obligĂ©e de l’abandonner après quelques heures. 

Dans l’après-midi, je rencontre deux Allemands et je retrouve Damien. Nous roulons ensemble avec énormément de joie. Le petit groupe grandit ici et là, en récupérant d’autres cyclistes contents de s’abriter et de rester éveillés grâce à mes karaokés et farces multiples. Je discute avec les uns et les autres, et ce cortège évolue au fur et à mesure des kilomètres et des arrêts de chacun.

Au milieu de la nuit, nous arrivons Ă  TintĂ©niac. DĂ©jĂ  867 kilomètres. Il est plus de minuit. Je sais et je sens que je ne dois pas rester dormir lĂ . Je vais aller au checkpoint suivant, mais en attendant de repartir, je ne peux pas me retenir de danser en arrivant pour faire tamponner mon carnet. Comme il y a de la musique, je me laisse aller en exĂ©cutant mes meilleurs mouvements. Qu’il est bon d’être vivant. Faisant bien rire les bĂ©nĂ©voles au passage pour qui la nuit semble commencer Ă  ĂŞtre un peu longue. 

Nous arrivons finalement Ă  trois ou quatre, Ă  Fougères, soit moins de 300 km de l’arrivĂ©e. J’ai un peu perdu la notion du temps quelques heures plus tĂ´t. Je ne sais plus quand nous sommes arrivĂ©s. Je ne sais que deux choses : qu’il est très tard, ou du moins très tĂ´t et qu’il faut que je dorme avant de repartir. 

Cette dernière nuit (entre mardi et mercredi) est plus courte que je n’en aurais eu besoin, je ne dors qu’une demi-heure, Ă  cause d’un bon mal de ventre. L’alarme de mon rĂ©veil est superflue, moi qui espĂ©rais dormir 1h30 ou 3h (2 fois 1h30). Je range mes affaires sans faire de bruit pour ne pas rĂ©veiller la Suisse avec qui j’ai trouvĂ© refuge dans les vestiaires du gymnase, rien que pour nous et après avoir pu prendre une douche chaude. C’était le luxe. 

En me levant, je recroise un de mes collègues de la veille, ou du jour (?), qui n’a pas bien dormi non plus. Les mots sont superflus. Par un simple regard, nous comprenons que nous repartons ensemble, tout de suite. Le silence est roi. La nuit est courte en temps, mais terriblement longue en sensation. Je n’ai pas bu ou mangĂ© depuis plusieurs heures. Je ne me sens pas bien. 

Le soleil se lève, c’est beau, mais j’ai mal. Nous roulons plusieurs heures. Je suis Ă  jeun depuis trop longtemps, je me mets dans le rouge, je le sais. Il faut que je trouve une solution, notre rythme en prend sĂ©rieusement un coup. Heureusement, sur la route, les bĂ©nĂ©voles d’une association me proposent du riz au lait. Salvateur. Je repars correctement grâce Ă  ce cadeau tombĂ© Ă  pic.

La journĂ©e s’annonce chaude. Le but est d’arriver ce soir. La motivation est lĂ . Je veux dormir une vraie nuit, après ĂŞtre arrivĂ©e. Je sais que je peux le faire. Ă€ partir de lĂ  mon mental est et reste sur un plateau, tout va bien se passer. Et ce, malgrĂ© les tempĂ©ratures caniculaires de l’après-midi qui me vaille une quasi-insolation et des pauses forcĂ©es Ă  l’ombre. Ainsi qu’un arrĂŞt prolongĂ© Ă  l’avant-dernier checkpoint. 

Mortagne-au-Perche. On est presque chez moi, c’est le Perche, la porte d’entrĂ©e vers mon dĂ©partement de cĹ“ur et de sang. Je connais les routes qui vont suivre. Ce n’est qu’à 200km de l’arrivĂ©e, mais on est loin du rythme des 220 premiers kilomètres du dĂ©part. 

C’est un checkpoint oĂą je perds Ă©normĂ©ment de temps. Je reste avec mon ami Flo qui va abandonner. Il est blessĂ© et il risque d’aggraver cela en fracture s’il continue. Si proche du but, il est déçu, moi aussi, pleine d’empathie. 

Tous ces derniers kilomètres sont Ă©tranges. Nous sommes si proches et si loin du but Ă  la fois. Avant Dreux, le dernier checkpoint, je passe dans des villages que je connais, et 10km avant ce checkpoint, je me sens pousser des ailes. Le rythme augmente, un grand groupe se met dans ma roue. J’ai comme le sentiment que nous sommes arrivĂ©s. 

Ce qui rendra les 42 derniers kilomètres vraiment indigestes. Le moral reste très bon malgrĂ© la nuit qui tombe et la traversĂ©e des forĂŞts, oĂą iil n’y a plus d’encouragements et autres distractions dont je me suis terriblement habituĂ©e depuis 3 jours. 

Finalement, après 75 heures et 28 minutes j’arrive Ă  nouveau Ă  Rambouillet. 

Conclusion 

La Paris-Brest-Paris pourrait ĂŞtre dĂ©crite comme un long pĂ©riple Ă  vĂ©lo oĂą la difficultĂ© n’a d’égal que les encouragements des supporters sur la route pour nous la faire oublier. 

Il est presque indĂ©cent de dĂ©crire le plaisir que j’ai pris sur cet Ă©vĂ©nement tant certains ont souffert… Mais c’est la rĂ©alitĂ©. J’ai Ă©tĂ© galvanisĂ© du dĂ©but Ă  la fin de ce dĂ©fi. 

On ne fait plus attention Ă  la route, tout le trajet est une ovation constante. On dirait presque dit que j’ai parcouru tout le trajet Ă  travers une longue cĂ©lĂ©bration. Les sourires et les encouragements des spectateurs tout au long de la route Ă©taient vraiment la touche magique de cet Ă©vĂ©nement. 

L’amour du cyclisme transcendait les barrières linguistiques, unifiant tous les participants. C’est aussi grâce Ă  ça que lorsque le dĂ©part fut donnĂ© dimanche, et dès les premiers coups de pĂ©dale, je sentais que ça allait bien se passer. 

J’ai vĂ©cu ça pleinement avec une incommensurable joie. J’aime l’idĂ©e qu’il me faudra maintenant attendre 4 ans pour pouvoir revivre cela. Cela forge un peu plus ma patience. 

đź“· David Woodland
đź“· David Woodland

Véritable "Outdoor Enthusiast" comme ils disent si bien. 📷Photographe et passionné de micro-aventure, je découvre avec bonheur sur le tard le bikepacking et le monde du Gravel. 🚴🏻‍♂️

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