Le dernier ride avant la fin du monde
Lorsque la rumeur d’un reconfinement se met à grogner sévèrement dans tous nos réseaux, on est dans le train pour les Cévennes. Sophie, Nathan, nos vélos et moi allons rendre visite à Antonin pour un gros week-end d’automne. Le doute est bien présent, mais aucune info n’a encore été officialisée. Alors on maintient et on se dit qu’au pire, ce sera un bon bol d’air avant d’entrer dans le tunnel d’un deuxième confinement.
20h, alors qu’on arrive juste dans le petit hameau Cévenol, entourés par la silhouette sombre de massifs, le mal des montagnes en prime, les infos confirment la rumeur. Maintenant qu’on est là, on fait le plein de fromage local et de bières du Nord, on trace un petit parcours gravel sur Komoot, et on met le réveil à 6h le lendemain pour profiter du dernier ride avant la 2ème fin du monde.
C’est toujours gai de découvrir un paysage au petit matin, quand tu ne l’as jamais vu avant. Comme quand tu plantes ton bivouac de nuit et que tu te réveilles avec une vue incroyable. C’était le cas, ce jeudi-là. Les silhouettes sombres ont laissé place à de belles dames rondes, voluptueuses, aux robes orangées, fauve, rouge. Les premiers tours de roues se font sous une bruine fraiche, et Antonin nous parle des légendes des Cévennes. On grimpe lentement vers le Col de Fontmor, qui veut dire « enfant mort ». Une légende drôle et joyeuse, comme son nom l’indique. On bifurque rapidement vers des pistes de graviers comme on les aime. On roule, chanceux et rieurs sur cette ancienne voie de chemin de fer qui devrait bientôt être retapée pour en faire une voie verte de qualité. Le soleil se lève, et l’automne nous éclate au visage. On en prend plein les rétines, et Nathan mitraille, fasciné par les courbes des routes et pistes. Un ancien pont rappelle le passé ferroviaire du parcours, et plus loin, on descend des vélos pour éviter un mur effondré par la violence d’un épisode Cévenol (lors duquel il pleut l’équivalent de 2 ou 3 confinements en une journée).
Avant d’entamer la grimpette jusqu’au Signal de Ventalon (1350m), on aperçoit une terrasse de café bien ensoleillée (chose rare à cette période). Bonheur. On déguste un dernier café – tarte poires-amandes avec les ragots de la tenancière « Moi, j’ai jamais été au chômage de ma vie ! alors tu parles, Domi il me nargue ! Assistée, feignasse, il en rate pas une ! ». Reboostés et bien réchauffés, on part sur une loooongue montée par les pistes. Très vite, on se rend compte qu’on est scotchés au sol par une boue grasse, une espèce de pâte collante qui nous empêche d’avancer. L’ascension est longue, longue, longue, mais on est récompensés par les couleurs et les bogues de châtaignes qui jonchent le sol. C’est l’automne, on est dehors et il fait bon vivre.
La dernière portion jusqu’au signal de Ventalon est un sentier de pierres. Sublime, mais raide. Sophie et Nathan filent devant, leur passé de voyageur au long cours toujours bien présent dans les cuisses. Je n’avance plus du tout, et je me rends compte que mon pneu avant est à plat. Antonin est frigorifié, le vent se lève à mesure qu’on s’approche du col. On décide de s’arrêter là, à l’abri d’une petite forêt, pour prendre le pic-nic avant de réparer la crevaison et de repartir. Comté, mozza, Pelardon. Il fait bon rouler avec un fromager. On retrouve de l’énergie et on sourit : c’est reparti. Le sentier rétrécit et l’antenne du signal se dresse devant nous. Arrivés au sommet, le vent nous chahute dans tous les sens. On se met à l’abri d’une petite cabane au sommet pour admirer la vue, imprenable sur les Cévennes. On s’assoit, on savoure.
Qu’est ce que c’est bon d’être vivant !
Le petit sentier qui redescend est un peu périlleux. On porte les vélos, on y va doucement avant de rejoindre une superbe piste. C’est le bonheur, la récompense. Une belle piste de gravier qui descend à travers la forêt. Sublime. Et on n’est pas au bout de nos surprises… On dévale la piste jusqu’à une petite route qui tourne sur la droite. Une vue inattendue sur le Ventoux s’ouvre juste devant nous. On se regarde, le sourire jusqu’aux oreilles, avec le sentiment de voler ces derniers instants dehors. Quand nos proches se préparent psychologiquement à un nouveau confinement, on se sent plus que jamais libres et chanceux d’être ici, sur nos vélos.
On déguste chaque dernière minute de cette sortie. La descente se fait par de petites routes en épingles, chacun s’arrête dans un angle pour photographier mécaniquement ou mentalement ce moment. Ces couleurs. Ces sourires. Sur le petit pont avant la montée jusqu’au hameau, Sophie nous appelle « Venez ! On fait la course aux bâtons ! » On prend chacun un bout de bois, on le lance d’un côté du pont et on court de l’autre côté pour (ne pas) voir qui a gagné. On a fait le plein de couleurs, d’insouciance, de légèreté. Demain, la France sera confinée de nouveau. Nous, on profitera encore quelques jours des Cévennes avant de regagner nos studios lillois. Des images d’automne et d’évasion plein la tête et plein les appareils.