đŽđ»ââïž La ConquĂȘte de l’Ouest
âđŒ CĂ©sar Bygodt đž : Martin Bouffange / Colybride
Nous voulions voir le pays des ayatollahs. Ce sera finalement celui de la tortilla.
Nous sommes Martin, Enguerrand et CĂ©sar, âpĂšresâ fondateurs du collectif de bikepackers Colybride. Depuis lâĂ©tĂ© de nos majoritĂ©s, nous avons pris lâhabitude de nous offrir du temps ensemble, sur nos vĂ©los. La vie faisant, les CDI et crĂ©dits immobiliers allant, cette habitude est de plus en plus difficile Ă tenir. Comme sâil fallait maintenant cultiver, avec soin, sous peine de les voir disparaĂźtre, nos personnalitĂ©s aventuriĂšres.
Mais câen Ă©tait trop. Notre dernier long voyage avait eu lieu dans le monde dâavant.
Câest ainsi quâon se retrouve un beau jour dâautomne, Ă 22:34, sur un quai tiĂšde de la gare dâAusterlitz. Un dodo roulant plus tard et nous sommes Ă Perpignan. Câest lĂ que nous entamons notre conquĂȘte de lâOuest. Sur les traces de la European Trail Divide (ETD), nous souhaitons rouler jusquâau bout de lâhorizon. 2000 kilomĂštres durant, nous ferons de notre phare le Cap Saint-Vincent. Notre feuille de route est claire : sâarrĂȘter dans chaque pueblo pour un cafe con leche ou un pan con tomate. Entre deux ravitos, rouler, bivouaquer, se baigner et profiter.

CHAPITRE 1 – LA BRANLĂE
Chaque dĂ©part est une nouvelle vie, avec son lot de chaos et dâhĂ©sitations. Il faut tout rĂ©apprendre. 17 minutes seulement aprĂšs la sortie de la gare, le premier vĂ©lo tombe, mal appuyĂ© quâil Ă©tait sur la cathĂ©drale de Perpignan. DeuxiĂšme mĂ©saventure : le vent dans le dos. Bien trop rare pour ne pas ĂȘtre suspect. Chacun·e sait Ă©videmment que le vent nâexiste QUE de face pour les cyclistes. Nous sommes poussĂ©s de lâautre cĂŽtĂ© des PyrĂ©nĂ©es et instantanĂ©ment aspirĂ©s par une fĂ©roce odeur de chorizo. Dans le premier magasin aprĂšs la frontiĂšre, nous sommes les seuls Ă ressortir sans clopes.
Au menu du deuxiĂšme jour, Komoot voit rouge. Les pentes seront raides. Nous repeignons la piste de sueur. Une fois en haut, lâascension sera rebaptisĂ©e La BranlĂ©e. Ăa veut dire exactement ce que ça veut dire et lâETD nous impose, dâemblĂ©e, une bonne leçon dâhumilitĂ©.



CHAPITRE 2 – CANETTES ET TORTILLAS
Il y a, dans le voyage Ă vĂ©lo, ce petit rendez-vous quotidien auquel nous nous adonnons avec passion : le ravito. Devant chaque supermercado, nous nâavons qu’une exigence, ressortir avec une tortilla pour le soir et une canette pour le parking. Le jeu est simple : boire le contenu, poser la canette par terre, tenir en Ă©quilibre dessus le plus longtemps possible (gĂ©nĂ©ralement moins dâune seconde).
Nous nous enfonçons joyeusement en Catalogne et atteignons Montblanc. En Espagne, câest un village et il prĂ©cĂšde celui de Prades. Entre les deux, une montagne aride et grise qui nous impose quelques heures de randonnĂ©e. Au sommet, derriĂšre nos lunettes embuĂ©es, nous dĂ©couvrons un ciel jaune et des montagnes noires en dents de scie. AprĂšs plusieurs annĂ©es de tentatives dĂ©sespĂ©rĂ©es, nous nâavons toujours pas fait un voyage Ă vĂ©lo sans quelques kilomĂštres Ă pied.



CHAPITRE 3 – LA GARCONNIERE
MalgrĂ© la modestie que nous impose une contribution sur les Rookies, nous devons admettre ĂȘtre des dĂ©nicheurs de bivouac aiguisĂ©s. Alors que nos vĂ©los soulĂšvent un voile de poussiĂšre magnifiĂ© par le soleil couchant, nous trouvons, sur le bord de la piste, une petite maison abandonnĂ©e. Il y reste la baignoire et la terrasse. Nous balayons le plancher avec quelques branches dâolivier et nous nous installons en nous demandant si nous ne sommes pas, ce soir-lĂ , les plus heureux locataires du monde.
Les montagnes catalanes laissent place aux plaines dodues de Castille. Sur les pistes, nous ne croisons que des cochons et quelques C15. De loin en loin, des moulins qui nous projettent dans le monde de Don Quichotte. Le soleil est dĂ©clinant quand une colline plus haute que les autres vient trancher lâhorizon. Au sommet, trĂŽne une forteresse abandonnĂ©e que nos Ăąmes vagabondes interprĂštent comme une invitation. Nous logeons deux tentes entre les remparts. Notre collocation itinĂ©rante est composĂ©e dâun lit double (une tente deux places) et un lit simple (une tente une place). Un soir sur trois, chacun a le droit Ă sa dose de solitude et de paix.



CHAPITRE 4 – LE TOUR DU MONDE
Teruel est la capitale de la rĂ©gion la plus isolĂ©e dâEspagne. Nous y arrivons sans attente et dĂ©couvrons sur place un bout du monde dĂ©paysant et incroyablement accueillant. La petite ville abrite une architecture unique aux airs arabisants. Quelques rues plus loin, nous entrons dans le meilleur shop vĂ©lo du coin (ou du monde ?). Celui dans lequel le temps ne compte plus. Israel, le propriĂ©taire de Surya bikepacking, est lâami que nous ne savions pas que nous avions. Il soigne les bobos de nos vĂ©los en mĂȘme temps quâil nous conseille sur lâitinĂ©raire. Plus tard, pĂ©dalant sous une pluie battante, nous recevons un message de sa part nous indiquant toutes les cabanes de la rĂ©gion. En Espagne, nous avons traversĂ© des paysages aux allures de PĂ©rou ou de Colorado. Nous avons parcouru un plateau dĂ©peuplĂ© Ă lâaccent de Mongolie et traversĂ© une rĂ©gion surnommĂ©e la Laponie. Nous nous sommes offert un tour du monde local et dĂ©carbonĂ©. Le village de Cazorla nous a rappelĂ© Chefchaouen tandis quâĂ Cordoue, nous avons senti le cĆur battant de la fiertĂ© Andalouse.



CHAPITRE 5 – VOIE VERTE
La voie verte est au bikepacker ce quâun jour de repos est au tour de France : la garantie dâun ennui mortel. Nous dĂ©testons les voies vertes. LâETD en emprunte peu. Câest un cocktail savant. LâitinĂ©raire passe, en Espagne et au Portugal, par des pistes oubliĂ©es et de sauvages petites chaĂźnes de montagnes. Jamais sur un vĂ©lo, nous nous sommes retrouvĂ©s face Ă autant de cerfs, biches et faons. Loin des villes, nous avons traversĂ© la pĂ©ninsule ibĂ©rique dans le calme dâun automne chaleureux.
Chaque jour, notre amitiĂ© nous a menĂ© un peu plus Ă lâouest. Et puis, un matin, un air salin flotte dans lâair. Sur les pistes, le sable a remplacĂ© le gravier. Soudain, aprĂšs 5 semaines dâune ligne continue, le gps annonce la fin. Nos yeux sont rivĂ©s sur lâhorizon bleu. Câest la fin. Plus Ă lâouest, il nây a plus rien Ă rouler. Nous sommes au Cap Saint-Vincent, un peu badauds et orphelins de notre conquĂȘte de lâOuest. Quâallons-nous bien pouvoir faire demain ?















