🚴🏻‍♂️ 4 amis dans l’enfer du centre
Depuis bientĂ´t deux ans, je tanne mes amis avec le gravel et le bikepacking. Ayant accompagnĂ© les Rookies sur plusieurs traces, j’ai acquis un peu d’expĂ©rience et surtout appris Ă dĂ©dramatiser les potentielles difficultĂ©s. Je me sens prĂŞt Ă prendre la main sur une aventure. Le hic c’est que ces amis-lĂ aiment surtout avaler 200km de bitume vent de face dans une journĂ©e, ou encore le bruit des rapports qui craquent dans les cols bien raides du Ventoux. Mais on ne vit pas tous au mĂŞme endroit, on se manque, et finalement, au dĂ©tour d’une conversation whatsapp le projet se lance : nous partirons Ă l’assaut des volcans d’Auvergne. En gravel. Les alĂ©as du calendrier mettent deux coureurs sur la touche, c’est donc Ă 4 que nous attaquerons l’enfer du centre : 2 jours, 130km, 2400 de D+, 30% de terre et de pavĂ©s, en plein mois de juillet.
J-3
Après un Ă©nième briefing sur l’Ă©quipement, nous comprenons que nous avons la possibilitĂ© de croiser le tracĂ© du tour de France. Qu’Ă cela ne tienne, la trace change, si on peut voir Wout, on le fera. On sent qu’on est dans une vraie Ă©quipe de rookies quand viennent les questions du type « je prends un sac Ă dos ? » Ou encore « on trouvera bien une boulangerie ouverte quelque part non ? » đź’›
J-1
On se retrouve tous Ă la gare de Clermont. Niveau matos, c’est la kermesse :
Le premier a du tout louer, le second s’est tout fait prĂŞter et le dernier est carrĂ©ment venu en pneu route. Vous en connaissez tous un comme ça. Qui fait du vĂ©lo en maillot de bain, qui joue au futsal en espadrille, mais qui s’en sort quand mĂŞme. Chez nous, il s’appelle Nicolas. Spoiler, il n’en chiera mĂŞme pas tant que ça.
Jour 1 : Clermont – Saint Nectaire (par l’ouest)
Dès le dĂ©part, on attaque 15km de dĂ©nivelĂ© positif pour sortir de Clermont et rejoindre le col de Ceyssat. Un premier effort sur route qui manque de me laisser sur le carreau. Mon Genesis pèse près de 20kg et je n’ai pas pĂ©dalĂ© depuis mars. Ça rĂ©veille. Ă€ peine extirpĂ© de cette cĂ´te interminable, libĂ©rĂ© de ce D+ assassin, c’est le soleil qui s’en mĂŞle. Le plateau porte bien son nom, c’est plat, mais pas un arbre Ă l’horizon, et au pic de l’Ă©tĂ© ça tape fort. La suite s’annonce rude. On rejoint la trace du tour qui ne passe que le lendemain. Les caravanes ont colonisĂ© les prairies avoisinantes et les structures du tour sont dĂ©jĂ en place. Comble du bonheur, notre trace s’enfonce dans un bois. La route est interdite aux voitures le temps du passage du tour, elle est quasiment vide, bordĂ©e de pins, il fait bon. On retrouve mĂŞme le plaisir de relever la tĂŞte et d’observer le paysage, c’est magnifique.
Après une petite pause, on repart pour le dĂ©but des chemins. Le sol est bon, ça descend un peu fort parfois, mais dans l’ensemble, on enchaĂ®ne des singles bien dessinĂ©s. Premier arrĂŞt et je vois sur les visages qu’ils sont convaincus. Je ressens une vraie joie de leur faire dĂ©couvrir cet univers et de partager cette aventure avec eux. On croise un groupe en VTT de loc qui viennent de crever. Manque de bol le loueur ne leur a pas donnĂ© le bon matos pour changer ce type de roue. Coup de bol, on avait le bon matos pour changer ce type de roue. La solidaritĂ© cycliste se met en route, ils nous promettent une bière si on se recroise. On ne se recroisera malheureusement pas.
Nous descendons un chemin un peu technique direction le lac d’Aydat sur lequel on s’arrĂŞtera manger une pizza au Saint-Nectaire Ă©videmment ! Nous faisons des rencontres tout au long de notre parcours, tout le monde parle du tour, du fromage local, de vĂ©lo. On repart pour l’après-midi quand l’Ă©vĂ©nement tant attendu se produit : le cono qui est venu en pneu route crève enfin. Quelques mètres plus loin une autre crevaison, cette fois-ci pour Alban. Les deux gĂ©nies n’ont pas eu la prĂ©sence d’esprit de crever Ă l’ombre, Ă©videmment. Nous repartons et le soleil commence Ă vraiment taper sur le système. L’eau boue dans les gourdes, les tĂŞtes cuisent sous les casques.
Après 5h de pédalage, nous arrivons à 7km de Saint-Nectaire. Il ne reste que de la route. Parmi les erreurs de rookies une belle se prépare : « On a qu’à faire à fond jusqu’à la fin, a 20 de moyenne, on y est vite ». Je suis le seul à dire non. Les 3 champions roulent à tombeau ouvert et disparaissent très vite de mon champ de vision. Sur le chemin, j’en croiserai deux la tête dans une rivière à 3km de l’arrivée. Le premier n’articule plus. Le second se plonge désespérément dans l’eau pour essayer de réguler sa température corporelle. Le troisième a atteint Saint-Nectaire, mais a fait une pause dans un fossé en passant contre le panneau de la ville. Manque de bol, il restait encore deux bornes en faux plat montant pour rejoindre l’hôtel. De mon côté, j’arrive bon dernier, je vois trouble et je n’arrive pas à trouver l’hôtel. Sur le chemin, je croise plein d’autres hôtels et je me maudis de ne pas les avoir choisis.
Au moment de m’engager dans une montée terrible, j’entends des cris. Juste derrière moi, à 10 m, se tient mon hôtel. Mes potes viennent de m’épargner une montée aussi rude qu’inutile. En temps normal, ils m’auraient probablement laissé monter pour se marrer, mais la souffrance créée une solidarité instinctive. Merci à eux.
Et nous voilĂ au premier camp de base. Le soir, c’est fondu au saint-nectaire, truffades, pintes et dodo.
Jour 2 : Saint Nectaire Clermont (par l’est)
Une fois n’est pas coutume, nous lançons la journĂ©e par 13km d’ascension. Je sens que je fais des progrès, car ce coup-ci ma première pensĂ©e du type « quel sport de merde plus jamais je fais ça » arrivera le deuxième jour au lieu du premier. Il faut dire qu’on a regardĂ© la sĂ©rie sur le tour de France qui nous a confirmĂ©es que souffrir, c’Ă©tait l’idĂ©e centrale de ce sport. Alors pour se donner du courage, on se rĂ©pète ce mantra au cĹ“ur d’une pointe Ă 4km/h en montĂ©e : You are a fucking motorbike Wout.
A ce stade de la sortie, Alban est rouge Ă©carlate et ne sait plus que dire : « Le soleil c’est
ma kryptonite ». Cette grosse tĂŞte toute rouge est un sĂ©same pour ouvrir les portes des habitants qui, ayant peur de le voir se consumer devant le pas de leur porte, nous offrent bien volontiers des litres et des litres d’eau. On se fait mĂŞme passer au tuyau d’arrosage par un habitant de Montaigu en plein repas de famille.
Chaque rencontre est aussi l’occasion de papoter avec un local (Nouvelle excuse dans le book des excuses pour faire une pause). Justement, dans un hameau en bas d’un gros D+, on en croise un qui dit qu’on est fou. « Ça monte dur et ça descend violent », nous dit-il assis sur son quad. Et il avait raison. Après une montĂ©e raide, on prend un segment vraiment difficile. Du D- qui va jusqu’Ă -18% dans des gros gros grooos cailloux. Alban part tout droit en riant, les trois autres se font des ampoules aux pouces Ă force de serrer les freins. Antoine accuse le coup, il prononcera moins de 20 mots entre le dĂ©part et l’arrivĂ©e. Après une pause sandwich, Ă©videmment au saint-nectaire, on passera le meilleur segment de la journĂ©e (voir du week-end) : « Entre les lacs ». Le chemin est bon, roulant, c’est beau, un vrai rĂ©gal.
Vient le moment fatidique oĂą l’on rejoint la trace du tour de France. Petit souci : on est Ă contresens et le tour arrive sur nous dans moins d’une heure. Après s’ĂŞtre rĂ©galĂ© des encouragements des spectateurs, la marĂ©chaussĂ©e nous arrĂŞte avant de nous demander : « Vous n’avez pas l’impression qu’il se passe un truc la ? ». Il va falloir improviser quelque chose si on veut avoir notre train. Nicolas bricole une trace express pour rejoindre Clermont et nous sauve d’un dĂ©tour de 20km. Au programme : slalom dans les lotissements, 2km de voie romaine (dont les pavĂ©s terminent de faire exploser nos ampoules), puis le retour de l’asphalte. Et beaucoup trop, vite, on se rend compte qu’on est arrivĂ©. Un dernier sprint dans une cote pour la forme et voilĂ , 48h qui sont d’ores et dĂ©jĂ un souvenir.
En rĂ©alitĂ©, c’est plus qu’un souvenir, mais une nouvelle corde Ă notre amitiĂ©.
On a souffert ensemble, on a réussi ensemble, on s’est engueulé sur la trace, on s’est émerveillé sur des forêts, des volcans, des chemins, des troquets et, à peine installée dans le train du retour une seule idée : répondre de nouveau à cet étrange appel fait de joies et de souffrances, la prochaine fois avec encore plus de monde.